24 février au 3 juillet 2022
Consultez les oeuvres disponibles
Consultez le catalogue d'exposition
L'exposition présente le travail de vingt-trois artistes de la famille Ashoona, originaire de Kinngait (Cape Dorset, Nunavut) :
Annie Pootoogook
Goota Ashoona
Joe Jaw Ashoona
Kelly Ashoona
Kiugak Ashoona
Kudluajuk Ashoona
Kumwartok Ashoona
Kuzy Curley
Mayoreak Ashoona
Napachie Ashoona
Napachie Pootoogook
Ning Ashoona
Ohito Ashoona
Ottochie Ashoona
Ottokie Ashoona
Pitseolak Ashoona
Qaqaq Ashoona
Qavavau Ashoona
Sapa Ashoona
Shuvinai Ashoona
Siassie Kenneally
Sii Ashoona
Sorroseeleetu Ashoona
Elle célèbre l’héritage culturel et artistique des membres de la famille Ashoona, l’une des familles d’artistes Inuit les plus prolifiques et reconnues au Canada. Elle présente Pitseolak Ashoona — l’une des premières artistes graphiques de Kinngait (Cape Dorset, NU) — comme le catalyseur de la famille, qui a influencé et motivé ce corpus incroyable. C’est la raison pour laquelle une section de l’exposition est consacrée aux œuvres rendant hommage à Pitseolak Ashoona, que ce soit par leur sujet, leur composition ou leur style. Au cœur de l'exposition se retrouve la diversité des pratiques, des réalisations et des travaux effectués par la famille Ashoona au fil des ans. L’exposition met en relation des œuvres historiques provenant de la collection permanente de La Guilde et des œuvres contemporaines disponibles sur le marché de l’art Inuit. Commissariée par Goota Ashoona, l’une des artistes de la famille, l’exposition souligne plusieurs moments historiques importants reliés au travail de la famille et met de l’avant leur production artistique contemporaine à travers les œuvres de 23 de ses membres.
Goota Ashoona raconte : « J’ai grandi dans un foyer d’artistes Inuit. Ma région, Cape Dorset sur l’île de Baffin. Aujourd'hui, je parle de cette vie, de ces expériences et de ces souvenirs, et de tout ce qui s'est passé depuis. Je raconte les vies et les contributions des membres de ma famille en tant qu’artistes Inuit, des artistes de grand talent, reconnus et accomplis. Notre famille utilise l’art pour raconter des récits Inuit. Aujourd’hui, je suis entourée d’œuvres qui célèbrent notre famille et qui racontent nos histoires. Mes frères et sœurs voulaient suivre l’exemple de ma mère et de mon père qui étaient artistes et qui travaillaient sur la terre. Les enfants ramassaient des retailles de pierre délaissées par mon père, s’enfuyaient avec ses limes et ses ciseaux pour créer de petits poissons et des oiseaux. Parfois, je le faisais seule ou avec d’autres membres de ma famille. Nous étions curieux et voulions essayer et plus nous essayions, plus nous trouvions d'occasions de jouer, d’explorer avec la pierre. Plus j’explorais, plus j’aimais sculpter la pierre et plus j’avais envie de continuer. Mon apprentissage de la sculpture s’est approfondi énormément lorsque j’ai aidé les femmes de ma famille à faire la finition, le ponçage et le polissage des sculptures de mon père. Mes doigts et mes yeux ont absorbé chacune de leurs formes, leurs coupes, leurs membres, leur équilibre, leur contenu et le dévouement que mon père portait à l'expressivité et aux détails de ses œuvres. »
Se basant sur le rôle décisif joué par La Guilde en tant qu’espace commercial dédié à l’art Inuit dans le développement de la carrière des artistes et du mouvement artistique Inuit moderne, cette exposition s’inscrit dans cette continuité en commémorant le succès de cette famille d’artistes Inuit multigénérationnelle. Celle-ci met également de l’avant les multiples facettes de l’art Inuit à travers des thèmes qui y sont récurrents comme ceux des animaux, du quotidien, de la chasse, des représentations des femmes et des transformations. Elle comprend également une grande variété de médiums et de matériaux, dont, entre autres, la stéatite, l’os de baleine, le papier et les métaux, qui témoignent du dynamisme de ces artistes contemporains dans leur recherche artistique. Elle constitue une occasion unique d’apprécier le riche travail d’une famille qui a remporté de nombreux prix, dont l'Ordre du Canada, le Prix Molson du Conseil des arts du Canada et le National Aboriginal Achievement Award.
TEXTE DE L'EXPOSITION
KIUGAK ASHOONA
Goota Ashoona admire son père Kiugak Ashoona, un sculpteur prolifique et dévoué. Dès ses débuts, Kiugak joue un rôle prépondérant dans l'histoire moderne de l'art Inuit à Kinngait (Cape Dorset, NU). Avec son frère Qaqaq, l’oncle de Goota Ashoona, les deux hommes sont des sculpteurs accomplis et font partie du ... mouvement commercial de l'art Inuit. En 1959, Kiugak Ashoona et son beau-frère, Eseevadluk Pootoogook, se rendent à Stratford (ON) où leurs œuvres sont présentées dans une exposition et où ils rencontrent la famille royale britannique. Ils sont deux des premiers artistes à présenter de l’art Inuit au public. Les sculptures de Kiugak datant des années 1960 à 1980 se retrouvent dans de nombreuses collections muséales. Elles reflètent sa capacité à transcender les sujets illustrés dans ses œuvres et à les élever en les présentant avec finesse. Son talent se reconnaît aussi par la subtilité des éléments expressifs et narratifs qu’il donne à ses œuvres, tels leurs visages animés.
Goota se souvient de l'amour de son père pour la sculpture et des photos de famille montrant un homme heureux, fier et confiant, ayant souvent à proximité sa dernière création. Kiugak développe une connexion personnelle avec ses sculptures, parlant avec elles au fur et à mesure qu'elles émergent de la pierre, et ce pendant que sa femme ou ses filles les poncent et les polissent, insufflant encore plus de vie aux oeuvres. Il les berce et les manipule avec délicatesse comme si elles étaient vivantes. Goota a souvent vu l’expression sur le visage de son père alors qu’il donnait un baiser d’adieu à ses sculptures en préparant leur expédition. En parlant de lui, elle ajoute: « Aujourd'hui, en tant qu'artiste mature, j'apprécie vraiment son histoire, son art et la façon dont il a eu un tel impact et une telle influence. L’enfant d’un artiste a une vie intéressante. Les enfants d’une famille d’artistes reconnus et talentueux vivent et profitent d’une richesse créative inimaginable. Sculpter auprès de mon père pendant de nombreuses années nous a permis de savourer ces moments et d’apprécier le travail accompli. L’affection que nous portions les uns aux autres et nos forces croissaient alors que nous sculptions ensemble en tant que famille d’artistes Inuit professionnels. Je me souviens des premières fois où les gens ont comparé mon travail à celui de mon père. C’était un peu surprenant pour moi, mais lorsque mon père m’a dit la même chose et qu’il a suggéré que le meilleur était à venir, je me suis sentie réconfortée d’être ainsi perçue par lui. »
GOOTA ASHOONA ET LE STUDIO ASHOONA
En se remémorant son parcours, Goota Ashoona raconte : « Nous considérions les membres plus âgés de notre famille comme des modèles, des artistes Inuit ayant réussi. Nous nous sommes attelés à la tâche qui nous attendait. Nous voulions suivre leur exemple et trouver un but et un sens à nos vies en cours de route. J’ai appris les histoires de ma famille, surtout celles desgénérations plus âgées. J’ai vu de quelle façon mes proches donnaient vie à ces histoires à travers les matériaux qu’ils travaillaient, de la première à la dernière touche. C’est ainsi que j’ai commencé à créer. Mon père m’a appris la nature mystérieuse de la pierre et ma mère, la maîtrise de l'aiguille, du fil, des ciseaux, des tissus et des peaux, ainsi que la façon de raconter des histoires à l’aide de papier, de crayons et d’encre. C’est ainsi que j’ai grandi. Des années plus tard, le plus souvent loin de Cape Dorset, ma carrière et mon amour de l'art commençaient à prendre de l’ampleur à travers chaque nouveau projet. J’ai vécu de nombreuses expériences enrichissantes en tant qu’artiste Inuit dans les Territoires du Nord-Ouest, à Haida Gwaii, au Manitoba, en voyageant au Canada et à l’international, et ce, parmi les personnes les plus aimables que l’on puisse espérer rencontrer au cours d’une vie. En cours de route, nous avons beaucoup vu, entendu, et appris. »
Lorsque Goota Ashoona et Bob Kussy se sont rencontrés à Yellowknife (NT), Bob se rend compte du talent de Goota pour la sculpture lorsqu’elle fabrique un arc de chasse durant une expédition de camping. Bob est alors tuteur d’anglais dans un établissement correctionnel. Il a côtoyé plusieurs sculpteurs, mais il reconnaît que Goota est plus talentueuse que tous ceux qu’il a connus. Suite à leur rencontre et lorsque Goota a vingt-sept ans, ils fondent le Ashoona Studio à Yellowknife. Pour le plaisir de leurs fils, Joe Jaw et Sam, ils installent leur studio à proximité de deux terrains de sports, ce qui crée un paysage contrasté. Leurs deux fils apprennent également à sculpter et à vendre leurs œuvres aux acheteurs d’Ottawa (ON) et d’ailleurs. Goota et Bob établissent des contacts avec les galeries, prennent connaissance des ressources disponibles à Yellowknife pour faire progresser leur carrière artistique et reçoivent de nombreux encouragements. En raison de ses liens familiaux et des noms de Kiugak Ashoona et Sorroseeleetu Pootoogook, Goota devient une figure populaire du milieu artistique local. Goota et Bob se sont soutenus mutuellement afin de progresser dans leur carrière. Leur fils Joe Jaw les aidait également beaucoup dans les tâches reliées au studio et aux autres besoins de la famille. La famille est au cœur de leur pratique et des activités du studio.
En pensant à cet environnement familial solidaire, Goota se souvient : « Quand ma mère ou mon père n’avaient pas terminé une oeuvre et que nous étions pressés parce que nous voulions la livrer à la coopérative avant sa fermeture, je les aidais à finir la sculpture, je couvrais le dessin de ma mère et je prenais les crayons de couleur. Le fait que j'ai commencé à sculpter a influencé mes fils. Cela les a encouragés à faire de même. » La famille perpétue la tradition de la sculpture, tout comme celle de la chasse. Bob se rappelle que lorsque Kiugak était en vie, les garçons voulaient chasser et sculpter avec leur grand-père. Ils aidaient à la préparation d’expositions en transportant des boîtes et en effectuant diverses tâches. Joe Jaw avait environ dix ans lorsqu'il a chassé son premier caribou, « c’était comme un cadeau », une tradition qu’il partageait avec sa famille et sa communauté.
LES FEMMES DE LA FAMILLE
Pitseolak Ashoona est devenue la matriarche d'une dynastie artistique, alors que ni sa mère, ses tantes et sa grand-mère étaient artistes. Elle établit cette tradition en prodiguant l’inspiration aux futures générations de femmes de la famille Ashoona et en leur montrant une voie à suivre. Pitseolak Ashoona encourage ces femmes à faire du dessin (ou de la sculpture), et une à une, elles deviennent artistes. Exercer ce métier offre une certaine souplesse par rapport aux exigences quotidiennes rigoureuses de la vie dans le Nord et à celles d’élever une famille. Chaque femme artiste de la famille Ashoona transmet dans son travail ce qu’elle voit et ce qu’elle vit. Ces femmes ont partagé et continuent de partager l’intimité de leur expérience qui s’inscrit dans une vaste contribution à l’histoire moderne de l’art Inuit.
Goota et sa mère, Sorroseeleetu Ashoona, sont un exemple de la transmission de l’art dans la famille: « Ma mère était géniale parce que jusqu'à mes cinq ans, elle me portait avec elle partout où elle allait, et ce, même quand nous étions dans les camps. Elle m'apprenait à coudre, à préparer les peaux d'ours polaire et de renard et à cuisiner lorsque nous étions dans les régions éloignées. À Cape Dorset, elle dessinait et était prête à tout essayer. Quand elle dessinait, je me concentrais pour la voir à l'œuvre. Ses dessins m’impressionnaient. À l’âge de six ans, j’étais à la bibliothèque de mon école quand on m'a dit que les dessins sur les murs étaient ceux de ma mère. J’étais émerveillée par ses œuvres. C'est ainsi que j'ai appris la sculpture (les formes, etc.). Les dessins de ma mère étaient pleins de mouvements, en constant changement. Ils sont vivants et ils bougent. Je me souviens que je vivais dans les camps lorsque ma tante Napachie Pootoogook a commencé à dessiner et lorsque ma mère et Mayoreak Ashoona dessinaient. »
Goota ne se souvient pas avoir vu Sorroseeleetu travailler avec d'autres femmes de la famille, telles Napachie Pootoogook et Mayoreak Ashoona. Cependant, sa mère eut un impact sur tous ceux qui l'entouraient. Les femmes de cette famille artistique entretenaient une relation amicale, partageaient les repas et mangeaient du phoque ensemble. Lorsque Pitseolak Ashoona devait se rendre à la coopérative, des membres de la famille l’accompagnaient et apportaient ses œuvres pour lui donner un coup de main. Pour les générations plus récentes, les réunions de famille permettaient aux filles de se voir dessiner et travailler. Dans cet environnement, les femmes étaient encouragées à devenir artistes. Elles se soutenaient mutuellement afin de développer leur carrière et de contribuer au succès et à la réussite de leurs familles.
LES HOMMES DE LA FAMILLE
Les hommes de la famille Ashoona correspondent aux fils de Pitseolak et à leurs descendants. Alors que ces garçons devenaient des hommes, la chasse et la sculpture ont pris une place prépondérante dans leur vie. La plupart des fils de Pitseolak Ashoona sont devenus des artistes produisant de nombreuses œuvres sur papier, des œuvres en pierre, en défenses de morse, en bois de caribou et en d’autres matériaux. Chacun d'entre eux a exploré différents médiums au fil des années. La première génération d'hommes de la famille Ashoona a commencé à sculpter dès les débuts du mouvement de l'art Inuit moderne. Ils ont tous développés un style artistique qui reflétait leur personnalité et leur tempérament. Plusieurs des sculptures réalisées par ces hommes sont considérées comme les plus animées et pleines de vie du premier quart de siècle de l'art Inuit moderne. Certaines d’entre elles ont été reproduites sur divers supports populaires, comme des cadeaux ou des timbres-poste, mais elles ont également été données en cadeaux à des invités de marque, tels le pape et divers chefs d'État.
RELATIONS ENTRE ARTISTES
La grand-mère de Goota, Pitseolak, a encouragé Sorroseeleetu et Napachie Pootoogook à devenir artistes en leur disant : « Allez chercher du papier à la coopérative et commencez à dessiner. » Les filles ont grandi en regardant les femmes de la famille dessiner ou en les aidant à apporter des œuvres complétées à la coopérative. Elles étaient encouragées à faire de l'art et trouvaient souvent des moyens de travailler ensemble. Goota Ashoona a encouragé Shuvinai Ashoona à dessiner, car elle pensait que cette dernière trouverait difficile de rester dans la maison. Shuvinai était douée pour raconter des histoires en anglais et les dépeindre sur papier de façon percutante, et ce, même dans un espace réduit. Dans un milieu où les possibilités d'emplois étaient limitées, le dessin permettait à ces femmes de gagner leur vie et de soutenir leurs familles grâce à l'aide des coopératives. Parfois, elles recevaient seulement neuf dollars pour chacun de leurs premiers dessins. Goota raconte: « Nous recevions un petit montant pour nos œuvres. C'est la raison pour laquelle j'ai cessé de vendre mes sculptures pendant un certain temps. Cependant, je continuais à sculpter. Après avoir rencontré Bob, j’ai su que je serais stable financièrement. Alors, j'ai recommencé à vendre mes œuvres. Je me souviens que je vivais dans les camps lorsque ma tante Napachie Pootoogook a commencé à dessiner et lorsque Mayoreak et ma mère dessinaient. » Son mari, Bob Kussy, ajoute que « chaque fois que Goota regarde le dessin d’un membre de sa famille, elle éprouve un sentiment d'appartenance. Elle ressent une grande affection pour l’artiste qui l’a créé. Ces liens sont très forts. »
ASHOONA
L'histoire de la famille Ashoona est intimement reliée aux débuts de l'art Inuit moderne, à l'implication de James Houston et au décès précoce d'Ashoona « le chasseur ». L’on retrouve peu d'informations dans les livres d’histoire sur l'homme qui portait le nom d’Ashoona. Pitseolak et lui se sont connus lorsqu’ils étaient enfants dans les camps semi-nomades de l'île de Baffin. Après le décès d’Ottochie, le père de Pitseolak, survenu vers 1920-1921, son oncle Kavaavow a arrangé leur mariage, car Ashoona était un chasseur talentueux et respecté. Dans une biographie, Pitseolak évoque ce souvenir :
« Quand Ashoona est arrivé au camp, je ne savais pas la raison de sa venue. Je ne savais pas qu'il était venu pour moi. Je pensais qu'il était seulement venu nous rendre visite, jusqu'à ce qu'il m'emmène sur le traîneau. J'ai commencé à avoir peur. Je pleurais et Ashoona me poussait et parfois me soulevait pour essayer de me mettre sur le [traîneau]... La première fois que j'ai dormi à côté de mon mari, son souffle était si lourd, sa peau si dure. Mais après m'être habituée à lui, j'étais vraiment heureuse. Nous avons eu une bonne vie ensemble. » Christine Lalone, « Biography », Pitseolak Ashoona: Life and Work (Art Canada Institute, 2015)
Pitseolak se rappelle qu'elle recevait toujours des fourrures pour fabriquer de beaux vêtements chauds pour sa famille. En 1922 ou 1923, Ashoona et elle se sont mariés lors d'une cérémonie à Kinngait (Cape Dorset, NU). Au début de leur relation, ils changeaient de camp jusqu'à dix fois par an. Dans sa biographie, Pitseolak raconte qu’elle se souvient de longues périodes passées dans des camps éloignés et isolés comme Netsilik où la famille a vécu seule pendant un an. Elle a même mis au monde son fils Kumwartok avec la seule aide de sa mère et de son mari. Grâce à ses connaissances du territoire, Ashoona a parfois été engagé en tant que guide, tel que pour le naturaliste J. Dewey Soper, qui était à la recherche de nids d'oies des neiges « bleues ». Kiugak Ashoona se souvient que son père a peut-être travaillé à la station météorologique de Tujakjuak et qu'il a participé à la cartographie du territoire au début de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de leur mariage, Pitseolak donne naissance à dix-sept enfants, mais elle n'en élève que six jusqu'à l'âge adulte, car certains sont adoptés et plusieurs sont décédés en bas âge. Au début des années 1940, Ashoona décède d’une maladie au camp ou lorsqu’il part seul à la chasse. Suite au décès de son mari, qui était le principal chasseur de la famille, Pitseolak est déménagée à Kinngait pour y vivre de façon permanente et recevoir le soutien familial. Cette perte eut un énorme impact sur Pitseolak Ashoona et sur ses enfants qui menaient alors un mode de vie nomade et qui ont dû surmonter la faim, la dépendance, s’adapter et survivre. La famille fut marquée par ce deuil et par des questions restées sans réponse, qui sont devenus pour eux de sombres souvenirs. L’absence d'Ashoona eut un impact sur la vie de beaucoup de gens et il continue à vivre à travers le nom de sa famille, qui le porte fièrement.
PITSEOLAK ASHOONA RESTING
La Guilde reçoit d'abord la sculpture miniature Pitseolak Ashoona Resting de Ning Ashoona afin de la vendre à la galerie. Cette œuvre représente Pitseolak Ashoona assise sur un banc.
En raison de son sujet, elle attire tout de suite l'attention de l’équipe de La Guilde qui prépare l’exposition sur la famille Ashoona. Suite à une discussion avec la commissaire Goota Ashoona et son mari, Bob Kussy, notre équipe découvre que cette œuvre est en fait une maquette pour une impressionnante sculpture d'art public qui se trouve à Kinngait (Cape Dorset, NU). Sous la recommandation de Goota et de Bob, La Guilde acquiert alors l'œuvre pour sa collection permanente. Par la suite, nous apprenons que Kuzy Curley, en collaboration avec Ning Ashoona et Kelly Ashoona, a dévoilé en juillet 2021 le monument de Pitseolak qui repose au sommet d'une colline surplombant Kinngait. Ces magnifiques sculptures (le monument et les maquettes) célèbrent Pitseolak Ashoona en tant que femme accomplie et l’une des fondatrices des arts graphiques de Kinngait. Les deux modèles mettent en évidence une femme assise sur un banc, tenant une canne et portant des lunettes. Les lunettes emblématiques de cette matriarche de la famille Ashoona sont également commémorées dans une gravure d’Annie Pootoogook.
TIMBRES
En 1980, alors que l'art Inuit continue de gagner en visibilité auprès du public, la Canada Bank Note Company complète une série de quatre années de timbres inspirés de l'art Inuit. La série met de l’avant de célèbres gravures et sculptures Inuit dans des collections annuelles de 1977 à 1980. Des œuvres de la famille Ashoona figurent dans la deuxième et la dernière collection : Woman Walking de Pitseolak Ashoona paraît en 1978 et la sculpture verte, Sedna, de Kiugak Ashoona, en 1980. Le timbre Woman Walking de Pitseolak Ashoona est conçu par Reinhard Derreth. Il représente une femme aux longues tresses tenant une lance, un seau et portant un amauti bleu. Un enfant se trouve dans le capuchon de l’amauti et des kamiks (bottes) sont suspendues au sac à dos de la femme. Ce timbre est émis en même temps que celui illustrant Migration de Joe Talirunili dans le cadre d'une série sur les voyages Inuit. Les autres œuvres comprennent Aeroplane de Pudlo Pudlat et Dogsled d'Abraham Kingmeatook.
La sculpture Sedna fait partie de la collection permanente de La Guilde et est présentée dans le cadre de cette exposition célébrant la famille. Le timbre, aussi réalisé par Reinhard Derreth, est presque entièrement rempli par la sculpture qui se trouve sur un fond vert serpentine. La série de 1980 est également disponible sous forme de timbres doubles. Elle contient Sedna de Kiugak Ashoona et Return of the Sun de Kenojuak Ashevak, alors que les œuvres Shaman de Simon Tookoome et Bird Spirit de Doris Hagiolok forment aussi des timbres doubles. Par la suite, les œuvres d'art Inuit ont continué d’être promues de diverses manières. Des collections nationales comme celles décrites ici mettent en valeur les réalisations culturelles des artistes Inuit.
En 1993, une collection de quatre timbres-portraits intitulée Femmes canadiennes célèbres souligne trois moments historiques : le centenaire du bureau national de la Young Women's Christian Association (YWCA), le centenaire du Conseil national des femmes du Canada (CNFC) et le 50e anniversaire de la première femme juge nommée par le gouvernement fédéral au Canada. La série est conçue par Heather J. Cooper et présente des portraits en buste de femmes de semi-profil entourés de cadres ornementés. Dans cette collection, Pitseolak Ashoona figure aux côtés de femmes exceptionnelles de l'histoire canadienne. Les bordures de ces cadres sont décorées de formes inspirées de l’art déco, organiques ou géométriques dans des tons de vert, rose, violet, bleu ou rouge. Pitseolak Ashoona est représentée dans un manteau blanc bordé de fourrure foncée et rouge, les cheveux noirs et affichant un sourire distingué. Les autres femmes qui l’accompagnent correspondent à Adélaïde Sophia Hoodless (1857-1910), une éducatrice familiale, la réformatrice sociale Marie-Joséphine Gérin-Lajoie (1890-1971) et la pionnière en droits Helen Alice Kinnear (1894-1970). Pitseolak Ashoona fait partie de cette collection en raison de sa contribution prolifique au monde de l'art et parce qu’elle est une figure clé du mouvement commercial de l’art Inuit initié par James Houston. Ses enfants et ses petits-enfants continuent d’honorer son héritage artistique célébré dans de nombreuses collections, comme celle de La Guilde, ainsi que dans la présente exposition.
MARCHÉ DE L’ART INUIT (LES DÉBUTS)
Bien que les Inuit aient fait de l'art sous différentes formes depuis des temps immémoriaux, le contexte de l'après-guerre au Canada permet à un plus large public de connaître et d’apprécier leur culture. James Houston demande à La Guilde de Montréal – alors connue sous le nom The Canadian Handicrafts Guild – d'explorer le nord du Canada à la recherche d'inspiration artistique et d'œuvres d'art à rapporter dans le sud. Saumik (nom donné à James Houston par les Inuit et qui signifie « le gaucher ») demande à Pitseolak Ashoona, comme à beaucoup d'autres habitants de Kinngait (Cape Dorset, NU), de dessiner et de créer des œuvres d'art. C'est ainsi que naît le marché de l'art Inuit moderne. Les artistes documentent leurs expériences et leur vision du monde. Ils traduisent ces expressions dans des formes d'art tels la sculpture, la gravure et, plus tard, le dessin. Que s'est-il passé lorsque Pitseolak Ashoona et ses enfants ont rencontré James et Alma Houston ? Avec le soutien et les encouragements des visiteurs, Pitseolak Ashoona et d'autres Kinngarmiut (habitants de Kinngait) sont devenus, au-delà de toute attente, des artistes professionnels créant des corpus d'œuvres impressionnants. L'art Inuit est désormais une pierre angulaire de l'identité culturelle canadienne, tant au pays qu'à l'étranger. Le succès qu’a rencontré cette forme d'art se fit sentir tant pour Pitseolak Ashoona que pour sa communauté et pour le reste du monde.
Dans ses sculptures et ses gravures, la famille Ashoona présente des expériences personnelles propres à chaque artiste, ainsi que des thèmes culturels communs. Certaines de ses œuvres illustrent des histoires Inuit contemporaines, d’autres mythiques. La famille a développé la capacité de « faire parler » leurs œuvres qui incarnent leur identité Inuit. Dans beaucoup de leurs œuvres, les membres de la famille explorent et rendent de façon remarquable et avec une grande maîtrise technique leurs interprétations personnelles de la réalité et des récits Inuit.
LA VIE ET L’ART : LES CAMPS D’AVANT-POSTE, LA CHASSE, LA SCULPTURE ET LA SURVIE
Chaque membre de la famille Ashoona s'inspire de ses expériences personnelles, ainsi que de celles de la communauté. Ces expériences comprennent des moments passés dans les colonies et les camps d’avant-poste, de même que des déplacements sur la terre, l'eau et la neige. Goota Ashoona mentionne : « Notre histoire, vécue sur la terre et à travers notre culture, est essentielle et intergénérationnelle. Au cours des années, nous avons ressenti l’attrait de ce mode de vie, de vivre sur ces terres encore et encore. Nous avons vécu à Cape Dorset et dans nos camps éloignés situés dans des baies et des criques isolées le long de la côte sud de l'île de Baffin. C'est à ces endroits que nous avons répondu à l'appel de la vie familiale Inuit. Nous y sommes demeurés pendant de nombreuses années – ma grand-mère Pitseolak, ses fils et sa fille, leurs conjoints et leurs familles – et nous avons tous vécu des expériences personnelles uniques sur cette terre. Quand nous étions enfants, nous adorions ce mode de vie ! Il nous rassemblait et nous aidait à grandir. Nous avons appris de nombreuses leçons qui nous ont préparés à ce que nous vivons aujourd'hui ». Les expériences de la vie sur cette terre incluent la vie de famille, la chasse, la pêche, la navigation, la sculpture, la couture, les aventures de l'enfance et, parfois, les moments difficiles. De grandes œuvres d'art ont émergé de ces instants passés dans les camps et sur la terre, dont les sculptures de Kiugak et de Qaqaq Ashoona. Lorsqu’ils étaient petits garçons, ils imitaient leur père en pratiquant la chasse conventionnelle, mais aussi celle de la pierre à savon, des ciseaux et des limes... Pour les générations plus âgées, faire des expéditions de camping a facilité la transition vers la vie dans les colonies. Quant aux générations contemporaines, elles ont appris un nouveau mode de vie, des valeurs, des compétences et des pratiques différentes.
Goota se souvient ainsi de sa grand-mère, Pitseolak Ashoona : « Parfois, je repense à nos expéditions de camping et cela me rappelle ma grand-mère et ce que nous pouvions manger sur la terre. Je mangeais du poisson et du phoque en été. Tout ce qui se promenait dans le camp pouvait être mangé ! (rires) J’apportais l’animal à ma mère et elle s'occupait de la cuisson. En été, nous pouvions marcher sur la plage et trouver beaucoup de petits poissons. Nous trouvions aussi sur la terre du caribou, des oies, des baies et des racines de fleurs. Ma grand-mère m'a appris quelles plantes manger lorsque je partais en promenade et que je n'avais rien apporté. »
LE FESTIVAL DE STRATFORD
En 1959, Kiugak Ashoona et Eegeevudluk Pootoogook sont invités à partir de Kinngait (Cape Dorset, NU) pour se rendre dans le sud de l'Ontario afin d’y exposer leurs œuvres d'art. Au Stratford Shakespeare Festival, ils présentent pour la première fois leurs sculptures en stéatite à un large public du sud. Cette exposition constitue un événement important qui se déroule dans les débuts de l'exportation de l'art Inuit. Kiugak et Eegeevudluk rencontrent même la reine Elizabeth et le prince Phillip et leur offrent des cadeaux personnalisés à cette occasion. La présence des deux artistes permet également de rendre leurs œuvres plus personnelles, au lieu que ces dernières soient perçues comme provenant de figures ou de cultures anonymes et lointaines. L'exposition comprend également des vêtements, des jouets, des objets domestiques, des outils de chasse, ainsi que de nombreuses sculptures en stéatite. Les sculptures de cette exposition demeurent des joyaux et des œuvres majeures faisant partie de collections d'art canadien et Inuit. Kiugak et Eegeevudluk sont le père et l'oncle de Goota Ashoona, font partie de l'arbre généalogique de Pitseolak Ashoona et constituent des maillons essentiels de l'héritage artistique de la famille.