D’un océan à l’autre : La construction collective du caractère canadien

D’un océan à l’autre : La construction collective du caractère canadien

MONTRÉAL, 27 SEPTEMBRE 2022

Saviez-vous que, depuis les années 1910, La Guilde veille à la pérennité des pratiques artistiques traditionnelles des Canadien.ne.s de toutes origines et encourage les métiers d’art des personnes immigrées d'Europe de l'Est comme de l'Ouest, ainsi que du Moyen-Orient ? Dans cet article, nous plongeons dans les archives de La Guilde pour mettre en lumière la relation entre l'art et l’accueil.

Comment les fondatrices de La Guilde ont-elles mobilisé l'art pour faire du Canada une terre d'accueil ? Dans cet article, nous nous intéressons au rôle de La Guilde dans la promotion de l'art des communautés nouvellement établies au Canada comme étant essentiel au développement de l'identité nationale. Nous avons donc sélectionné des documents d'archives et des objets de notre collection permanente qui témoignent du dernier siècle sur cette terre d'accueil. Ces histoires inspirantes que nous avons découvertes dans nos archives permettent de réfléchir et de réimaginer le rôle des arts pour tisser un avenir interculturel. À travers cette recherche, nous souhaitons souligner la résilience des nouveaux arrivants du début du 20e siècle.

*Nous conservons le terme « Indien », employé dans nos publications d'archives du début du 20e siècle pour désigner les peuples autochtones du Canada, afin de préserver l’intégralité historique des documents originaux et permettre à nos lecteurs et nos lectrices de s’interroger sur les mentalités de l’époque.

D’UN OCÉAN À L’AUTRE : LA CONSTRUCTION COLLECTIVE DU CARACTÈRE CANADIEN

Dès la fondation de La Guilde en 1906, les femmes à la tête de l'organisation, Mme Alice J. Peck et Mlle Martha Mary Phillips, défendaient les métiers d'art comme faisant partie intégrante de l'histoire de l'art de leur pays. À l’époque, les métiers d'art étaient écartés des grands mouvements artistiques sous prétexte qu'ils étaient des arts mineurs. Le produit d’un travail utilitaire était perçu comme dépourvu d’essence intellectuelle qui caractérisait les beaux-arts, qui comprenaient alors la peinture et la sculpture (Phillips, Notes 1910). Tel qu’indiqué dans les articles précédents de la série Saviez-vous que…, les dirigeantes de La Guilde souhaitaient soutenir ces métiers sous-estimés. Dans le livre d'Ellen Easton McLeod sur l'histoire de La Guilde, Entre bonnes mains : Un siècle de savoir-faire canadien, l'auteure souligne à quel point « ce manque de soutien a donné aux femmes dirigeantes l'occasion de faire la différence. Elles pouvaient apporter une solution pratique en encourageant et en promouvant le travail des femmes dans les arts appliqués, les arts ménagers et l'artisanat » (Easton McLeod 1999, 84). En portant un regard critique sur le marché de l’art à Montréal au début du 20e siècle et en considérant les œuvres qui en étaient exclues, nous sommes en mesure de mieux apprécier l’héritage de nos fondatrices en tant que mécènes et éducatrices.

En plus d'embellir les foyers et la vie quotidienne grâce aux pouvoirs esthétiques de la création, Mme Peck et Mlle Phillips étaient convaincues de l’importance des métiers d'art pour créer et entretenir des rapports sociaux (Phillips, Address to North Bay 1910). Dans le cadre de l'un de ses nombreux voyages d'affaires dans l'Ouest canadien, Mlle Phillips s’adresse aux associations d'art de l'Alberta et de la Colombie-Britannique et décrit les métiers d'art comme « [...] des pensées façonnées par une main habile. Quel merveilleux moyen de transmission de la pensée ou du sentiment que la main, si sensible, si en harmonie avec le cerveau, qu'elle imprime involontairement le tempérament de l'individu sur toute sa production » (Phillips, Afternoon Talks 1910, 2). Nos fondatrices étaient persuadées que l'expression personnelle ainsi que le caractère national étaient tous deux observables dans le travail artistique des Canadien.ne.s de toutes origines, qu'il s'agisse de vannerie autochtone ou de broderie confectionnée avec piquants de porc-épic, de tapis crochetés canadiens-français ou de dentelles d'Europe de l'Est. Dans un autre discours donné au Vancouver Island Art Club en 1910, Mlle Phillips mentionnait la vision inclusive que La Guilde avait sur l’identité canadienne : « [...] aussi étendu que le dominion [britannique], accueillant tous à l'intérieur de ses frontières, de l'Algonquin au tout dernier immigrant venu s'établir dans son nouveau pays et y apporter son patrimoine de compétences à incorporer au nôtre » (Phillips, Notes 1910, 1). Pour La Guilde, l'art demeure un moyen de tisser des liens de solidarité au sein des communautés. C’est un terrain de rencontre où des gens de différents horizons peuvent se découvrir et s’apprécier dans le respect mutuel.

« L’entraide et non la charité »

Toutes deux issues d'un milieu aisé, Mme Peck et Mlle Phillips prenaient à cœur la responsabilité de venir en aide aux personnes moins fortunées par le biais d'activités de bienfaisance. Elles se dévouaient particulièrement aux femmes, aux Autochtones, aux nouveaux arrivants et aux personnes en situation de handicap (Easton McLeod, 1999, 234-235). Leur altruisme ne se voulait pas un penchant caritatif, mais plutôt une volonté de générer des opportunités d'emploi à long terme pour les personnes issues de l’immigration, pour qui s'installer au Canada n’était pas une aventure facile. Pour Mlle Phillips, la reconnaissance des métiers d'art avait une portée patriotique : « Le succès, pour nous, signifie une augmentation des paiements aux travailleurs, un plus grand sentiment d’utilité pour l'individu, une indépendance, un confort et une satisfaction accrus, et donc un pays prospère » (Phillips, Notes 1910, 9). Avec pour devise « l’entraide et non la charité », La Guilde opérait « [...] plutôt [comme] une prévention de la charité — une charité au sens propre » (Phillips 1910). C'est dans cette optique que La Guilde favorisait un patrimoine artistique canadien diversifié. D’ailleurs, La Guilde faisait la promotion de ses activités dans les navires en route vers le Canada et correspondait avec certains fonctionnaires pour s’informer des compétences artisanales des nouveaux arrivants (Easton McLeod 1999, 234-235). Nous sommes encore une fois impressionnées par l'ingéniosité de nos fondatrices qui ont réussi à faire valoir l’importance des métiers d’art non seulement comme moyen d’assurer une certaine autonomie financière, mais aussi en tant que discipline artistique valorisée et pilier du développement national.

Au-delà du potentiel économique des métiers d'art, Mlle Phillips croyait en leur pouvoir rassembleur et leur capacité à rallier des personnes d’origines, de croyances et d'horizons divers : « Dans ce vaste continent, nous avons besoin de tous les moyens de rester en contact les uns avec les autres — non pas en ignorant les autres traditions auxquelles nous avons ouvert nos portes, mais en leur tendant la main [...] afin de transmettre d'Est en Ouest une chaleureuse convivialité » (Phillips, Address to North Bay 1910). En relisant les écrits de Mlle Phillips, nous sommes conscientes du fait que les propos et les actions de nos prédécesseurs n’étaient pas parfaits et qu’un tel discours prendrait un autre sens aujourd’hui. Nous restons néanmoins impressionnées par l'esprit solidaire de leurs messages. Les valeurs mises de l’avant telles la curiosité, l'ouverture, le partage et la collaboration sont celles que nous choisissons de retenir et de porter avec nous vers l’avenir — celles qui continuent d'inspirer la mission de La Guilde. Tel que l'énonce McLeod, « [La Guilde] cherche plutôt à faire reconnaître les arts d’origine étrangère, car, pour elle, la venue de ces groupes d’immigrants représentent un atout, sur le plan culturel, pour le Canada » (Easton McLeod 2016, 164). Pour reprendre les mots de Mme Peck, « [...] le but de [La Guilde] n'a jamais été de faire de l'argent, mais de remettre le plus d'argent possible dans les mains des artisans d’ici ainsi que ceux arrivant d’ailleurs. Sans ce soutien, ces artisans ne seraient pas toujours en mesure d'exercer leur métier et seraient privés de la satisfaction que procure un travail manuel ainsi que de la fierté de s'exprimer librement, un désir qui habite tout être humain » (Peck 1926, 6).

Les Ruthéniens et les Doukhobors

Les premières correspondances entre La Guilde et des groupes ethniques spécifiques nouvellement établis au Canada datent du début du 20e siècle, tout juste avant l’incorporation de The Canadian Handicrafts Guild (1906) en tant qu'organisation à but non lucratif. En 1910, Mlle Phillips s'aventurait pour la première fois dans l'Ouest canadien dans le but d’établir des relations professionnelles avec ces communautés de fabricants, d’étudier leurs méthodes et d’acheter certaines de leurs œuvres. À une époque où il était fort inhabituel pour une femme de voyager seule, ce voyage qu’a entrepris Mlle Phillips témoigne du courage et de la détermination infaillible de nos fondatrices.

Dans son carnet de voyage (fig. 1), Mlle Phillips raconte sa visite d'une communauté ruthénienne d’origine slave – territoire d’origine correspondant aujourd'hui à la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine et la Biélorussie. Elle raconte avoir traversé « des kilomètres de prairie vallonnée et boisée » par un temps glacial pour être ensuite chaleureusement accueillie par le prêtre, le père Kryzanovski, les religieuses et la communauté. Du partage de repas chauds de côtelettes de mouton et de soupe au chou aux embrassades mutuelles, en passant par le dorlotage de Mlle Phillips dans des couvertures lors d'une promenade en traîneau, Mlle Phillips décrit avoir été touchée par leur convivialité et leur générosité (Easton McLeod 1999, 235-236 ; Phillips, Memoranda 1910). Bien que cet article visait à souligner l'accueil des nouveaux arrivants par La Guilde, cet épisode démontre la réciprocité de l'hospitalité et des échanges entre les cultures. Mlle Phillips a été particulièrement impressionnée par les broderies ruthéniennes – lesquelles étaient confectionnées sur du lin tissé à la main et fait à partir de leurs propres plantations – et organise un concours des plus belles créations et finance le prix gagnant. Elle commissionne de nouvelles pièces et promet d’obtenir des prêts par l'intermédiaire des hommes de la communauté – à l’époque, les lois empêchaient les femmes de gérer leurs propres finances, privant ces dernières d’un accès à des prêts. Les tisserandes avaient donc accès à un plus grand nombre de métiers à tisser et pouvaient ainsi accroître leur pratique artisanale (Phillips, Memoranda 1910 ; Phillips, Western Trip 1911, 4). D'autres représentantes de La Guilde, Madeleine Bottomley et Christine Steen, ont succédé Mlle Phillips pour honorer les engagements avec la communauté et répondre aux ambitions de ses artistes. Puisque La Guilde se préoccupait de la qualité esthétique et matérielle de la production, Mlle Bottomley favorisait les teintures artisanales plutôt qu’artificielles et priorisait l'utilisation exclusive du lin local plutôt que du coton fabriqué en usine, même si ces procédés étaient plus coûteux en temps et en argent. Fidèle à sa mission d’assurer la transmission des savoir-faire traditionnels aux générations futures, La Guilde a parrainé le père Kryzanovski et les religieuses dans l’organisation d’un cours de broderie pour les enfants ruthéniens de la région (Easton McLeod 1999, 235-236).

Les fondatrices de La Guilde se sont également dévouées à la cause des Doukhobors (fig. 3), un groupe religieux pacifiste exilé de Russie pour leur culte jugé hérétique par l'Église orthodoxe (Easton McLeod 1999, 99-100). En réponse à l’intérêt national suscité à leur arrivée, le Industrial Committee for the Encouragement of Doukhobor Home Industries, une initiative fédérale, est mis sur pied dans le but de vendre le travail des femmes doukhobores à travers le Canada. Edith Watt, la responsable de la boutique de La Guilde à l'époque, a d’ailleurs organisé une vente d'œuvres doukhobores (fig. 4) dans sa demeure au Golden Square Mile de Montréal. Les métiers d'art ruthéniens et doukhobors étant très appréciés, ces expositions-vente s’avèrent être un grand succès et toutes les pièces se vendent. En 1913, les journaux montréalais félicitent les tissus « tape-à-l'œil » et « [...] les magnifiques draps tissés à la main, brodés de couleurs vives et de motifs géométriques emblématiques de ces communautés » (The Gazette 1913 ; Montreal Star 1913).

La Guilde continue ses efforts pour préserver et diffuser les métiers d'art d'Europe de l'Est tout au long des années 1930, notamment en les incluant dans ses expositions annuelles. De nombreuses foires sont organisées dans des sites prestigieux, tel l'Hôtel Windsor, assurant une visibilité à la cause — mais aussi mettant en évidence le clivage socio-économique entre les artisans et les gens ayant les moyens d'acheter leurs créations (Journal inconnu 1938).

Préserver les techniques d'héritage ukrainien

Cette magnifique broderie rouge et noire (fig. 6-7) provenant de notre collection permanente affiche des attributs typiques des provinces ukrainiennes de Podolie et de Polésie, où ces couleurs étaient privilégiées en disposition géométrique. En revanche, les pièces brodées au point de croix, comme le tissu jaune, bleu et rouge présenté dans la figure 7, correspondent à des traditions originaires du Nord et du Nord-Ouest de Poltava et de Volyn. L'étoile à huit branches, un motif populaire, serait une adaptation d’origine byzantine plus étendue. Bien que nous n’avons pas de sources officielles qui nous confirment la provenance des techniques de broderie employées pour orner ces textiles, notre recherche nous mène à ces conclusions. Le programme de métiers d'arts de l'Association des femmes ukrainiennes du Canada indique que la plupart des créateurs ukrainiens respectaient les motifs traditionnels de leur province, entre autres car le pays n'avait pas subi l'industrialisation et l'exode rural que le Canada avait connus vers la fin du 19e siècle. Ce programme se vouait à la conservation des techniques du patrimoine ukrainien et du caractère unique de ces traditions locales : « Au fil des siècles, [les métiers d’art ukrainiens] ont développé des caractéristiques qui les distinguent des autres cultures. Ce développement a pris des formes variées en fonction de la situation géographique, des conditions de vie et du tempérament artistique du peuple. Ainsi, la broderie ukrainienne peut être divisée en groupes territoriaux définis, en tenant compte de la couleur, du dessin et de la méthode » (Handicrafts Program, 6-7).

Soutenir le legs artistique polonais

La Guilde cherchait également à faire rayonner la culture polonaise en valorisant leur métiers d’art et en venant en aide aux réfugiés forcés de se déplacer suite à l'invasion allemande au début de la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre d’une exposition organisée par le Musée des beaux-arts du Canada et visant à célébrer le patrimoine polonais malgré la détresse de ce pays, La Guilde est invitée à présenter des oeuvres de la communauté polonaise de Montréal. Ces oeuvres devaient agrémenter une sélection d'œuvres d'artistes polonais de renom afin de donner aux visiteurs un portrait de la vie quotidienne polonaise. Le Musée cherchait des créations ou des métiers d’art apportés au Canada à caractère typiquement polonais. Il y avait toutefois une certaine ouverture envers des œuvres moins traditionnelles et plus contemporaines qui « [...] illustrent la façon dont les artistes polonais s’adaptent à leur nouvel environnement » et qui témoignent de leur habileté et de leur ingéniosité (Lettre Russell 1942). Dans l'espoir de trouver des artistes qui participeraient à l'exposition, la présidente du comité des expositions de La Guilde, Mme F. M. G. Johnson, a contacté le consulat polonais à Montréal, M. Jan Pawlica. Elle a également participé au Easter Bazaar of Polish Ladies Handicrafts for the Benefit of the Polish War Fund (fig. 10), un marché de métiers d’art dont les profits allaient au Polish War Fund. Malheureusement, La Guilde a finalement dû refuser la demande du Musée puisqu’elle n'était pas en mesure de fournir le volume de pièces nécessaires pour remplir l'espace (Lettre Drummond 1942; Invitation 1937). La secrétaire de La Guilde de l'époque, Helen I. Drummond, explique que « [...] la majorité [de la communauté polonaise de Montréal] est venue sur ce continent en fuyant l'oppression militaire et politique et a rarement eu l'occasion d'apporter des trésors d’héritage familial » de calibre d'exposition (Lettre Drummond 1942). L’absence de métiers d'art dans l’étalage, plutôt que leur présence, en dit long sur la nature destructrice de la guerre.

Nos archives mentionnent que M. Pawlica a parrainé la candidature à l'immigration de Mme B., enseignante en métiers d'art, proposant que cette dernière expose ses oeuvres à La Guilde et donne des cours d'artisanat polonais à Montréal, Toronto et Winnipeg. Hormis les lettres échangées entre les membres du comité, nos archives nous donnent peu d’informations sur ces événements. Néanmoins, nous percevons ces discussions comme des efforts importants visant à fournir des ressources et créer des opportunités de partage de connaissances à ceux qui souhaitent apporter leur expertise au Canada.

Conférences en métiers d'art à l'Université McGill

Lorsque 1,2 million nouveaux citoyens sont arrivés au Canada lors des années 1920, les femmes de La Guilde ont continué leurs activités d’éducation et de sensibilisation du public aux métiers d’arts propres à chaque communauté d'immigrants. Au fil des années, La Guilde a collaboré avec une multitude de communautés d’immigrants et avec leur représentation diplomatique correspondante à Montréal. En 1926, Mme Peck a invité plusieurs conférenciers de différents consulats à présenter leurs métiers d’arts respectifs. La Guilde s'est associée à l'Université McGill pour offrir ces cours gratuitement sur le campus, permettant à un plus grand nombre d'y assister. En décrivant ces événements, McLeod constate que « [...] la tenue de soirée est néanmoins exigée. Comme bon nombre des entretiens sont donnés en français, il va sans dire que le cycle de conférences s’adresse à une élite éduquée et bilingue de la société montréalaise » (Easton McLeod 2016, 166). Après le succès des premières conférences sur les métiers d'art de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne, des Pays-Bas, de la Belgique et de l'Italie, les cours ont été renouvelés pour une autre année. La nouvelle programmation mettait en vedette les métiers d'art de la Finlande, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Suède, ainsi que l’histoire des arts canadiens et de La Guilde.

Mme Peck précise l'objectif interculturel de ces séances : « [...] il s'agissait de sensibiliser le public sur les arts et l'artisanat des pays d’où venaient les nouveaux arrivants afin que le Canada soit prêt à accueillir et conserver leurs connaissances et leurs compétences » (Peck 1929). C'est à travers ces conférences que Mme Peck et Mlle Phillips souhaitaient que les groupes ethniques variés du Canada travaillent vers une cohésion sociale. Tout en se laissant guider par cet idéalisme, Mme Peck souligne l'importance pratique d’une telle éducation, qui permet de « [...] se faire une idée réelle des capacités de ces nouveaux arrivants et de trouver des moyens de leur venir en aide » (Peck 1929). Nous continuons d'admirer l’ouverture, l'entreprenariat et le dévouement à la collectivité dont faisaient preuve nos fondatrices.

Le comité d'éducation

Depuis ses débuts, La Guilde reconnaît l’importance de la transmission intergénérationnelle de traditions, non seulement pour les connaissances manuelles et les habiletés techniques, mais aussi pour la mémoire politique, sociale et spirituelle. Dans un contexte de terre d’accueil et d’industrialisation rapide, La Guilde désirait particulièrement préserver le savoir-faire du travail fait à la main. En 1921, quinze ans après avoir établi La Guilde aux côtés de Mme Peck, Mlle Phillips a mis à profit sa formation pédagogique pour créer le comité d'éducation de La Guilde. Mlle Phillips avait été professeure d'art à la School of Art and Applied Design (SAAD) de Montréal, anciennement connue sous le nom de Victoria School of Art. On y donnait des cours de sculpture du bois, de peinture à l'huile, de design, de céramique et autres. Bien que Mlle Phillips débutait sa carrière en tant qu'enseignante, elle a rapidement gravi les échelons pour devenir co-directrice avant de se voir confier la charge entière de l'établissement en 1895. Avec des objectifs semblables à ceux de La Guilde, l’approche pragmatique de la SAAD était conçue pour répondre aux exigences du secteur des métiers d'art. Mlle Phillips préparait ses élèves à l'emploi dans le même esprit féministe que celui qui animait la mission de La Guilde : aider les femmes à professionnaliser leur métier pour obtenir une certaine indépendance financière (Easton McLeod 1999, 46).

Le comité d'éducation se consacrait à offrir des cours aux enfants issus de l’immigrantion afin de leur apprendre les méthodes de tissage et de broderie typiques de leur pays d'origine. En 1922, des cours hebdomadaires sur les coutumes judéo-russes, grecques, syriennes et italiennes étaient donnés. Afin d'atténuer les effets de l'acculturation, le comité engageait des enseignantes issues des communautés appropriées pour assurer la légitimité culturelle des cours (Easton McLeod 1999, 237-238). Le comité s'efforçait également de « rechercher des modèles authentiques, d'emprunter des échantillons et d'étudier comment des travaux similaires étaient menés dans les villes américaines et européennes ». En 1923, 231 enfants de diverses communautés se sont inscrits aux cours de La Guilde (Easton McLeod 1999, 238). La sensibilité culturelle et la volonté d'inclusion du comité d'éducation ont contribué à sa mission d’offrir à tous un espace de rencontre et de partage tout en permettant à ces gens de vivre de leur art.

La plupart des textiles utilisés dans les cours, comme le lin canadien, étaient fournis par La Guilde. D'autres tissus, tel le lin florentin destiné au cours italien, devaient être importés d'Europe aux frais de La Guilde. Lorsqu’est venu le temps de trouver des locaux où donner les cours, le comité d'éducation priorisait des espaces gratuits comme des écoles ou des églises. Les femmes de La Guilde s'avéraient être des ambassadrices débrouillardes et organisaient fréquemment des levées de fonds qui prennaient souvent la forme d'un salon de thé chez l'une des membres du comité (Easton McLeod 1999, 237-238).

Les créations les plus réussies des élèves étaient présentées aux expositions annuelles de La Guilde (fig. 12), lesquelles se tenaient dans les galeries du Montreal Art Association – aujourd’hui devenu le Musée des beaux-arts de Montréal. Les journalistes qui rapportaient ces événements étaient saisis par les créations des élèves qui témoignaient de « l'aptitude des enfants d'immigrants à retenir une bonne partie de leur appartenance nationale » (The Star 1931). Les profits de ces expositions étaient répartis entre les étudiants et le comité d'éducation, lequel réinvestissait sa part pour financer l'achat de matériel nécessaire aux cours de l’année suivante. En 1930, la vente des œuvres des jeunes a rapporté 203,44 $ [environ 3 381 $ aujourd'hui]. Les élèves les plus prometteuses, certaines agées d’à peine 15 ans, étaient invitées à présenter leur travail à La Guilde (Easton McLeod 1999, 167-169). Cela a permis à de nombreuses jeunes femmes de gagner de l’argent à leur propre compte dans une économie patriarcale. Nous sommes émerveillées par la qualité du travail des enfants, et d’autant plus touchées par l’astuce et la générosité de nos fondatrices.

Aujourd'hui, l’immigration de réfugiés Ukrainiens échappant aux ravages de la guerre est reconnue à travers le Canada comme un enjeu humanitaire d'ordre national. Nous souhaitions mobiliser nos archives et notre collection permanente pour célébrer les métiers d'art ukrainiens et d'Europe de l'Est au Canada et souligner la résilience de ce peuple ainsi que leur contribution à l’histoire de l’art canadien. La Guilde reste fière de soutenir la pratique artistique de nouveaux arrivants et de contribuer à leur rayonnement culturel.

Sydney Guy / Katherine Lacroix
Assistante à la galerie, aux expositions et aux activités culturelles / Assistante aux archives
Avec la collaboration d’Audrée Brin, Genevieve Duval et Colin Jobidon-Lavergne.

RÉFÉRENCES

  • Easton McLeod, Ellen. Entre bonnes mains : La Guilde, un siècle de savoir-faire canadien. Traduit de l’anglais par Stefan Sobanski. Montréal : Éditions Carte blanche, 2016.
  • Easton McLeod, Ellen. In Good Hands : The Women of the Canadian Handicrafts Guild. Carleton, ON : Carleton University Press, 1999.
  • « Handicraft Exhibition Open : All Parts of Canada Contribute to Collection at Arena. » The Gazette, dimanche 25 mai (1913).
  • « Handicrafts Guild Makes Good Display at Art Association. » The Star, lundi 19 octobre (1931).
  • « Handicrafts Program of the Ukrainian Women’s Association of Canada, » sans date. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Lettre de Deane H. Russell (secrétaire du comité inter-départemental sur l’artisanat canadian) à Helen I. Drummond (secrétaire de The Canadian Handicrafts Guild), 28 février 1942. C14 D1 062 1942. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Lettre de Diane R. Wolff à Miss Phillips, 24 janvier 1924. Educational Committee, 1924. Educational Committee. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Lettre de Helen I. Drummond à Deane H. Russell, 2 mars 1942. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Lettre de Helen I. Drummond H. O. McCurry (directeur du Musée des beaux-arts du Canada), 26 mars 1942. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Peck, Alice. Sketch of the Activities of the Handicrafts and of the Dawn of the Handicraft Movement in the Dominion. Montréal : Canadian Handicrafts Guild, 1929.
  • Peck, Alice J., The Canadian Handicrafts Guild and the « New Settler », 1926. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
    Phillips, Martha M., « Address Used on Afternoon Talks and on Western Trip 1910, » 1910. C11 D1 051 1910. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Phillips, Martha M., « Address to North Bay in Normal School, » December 11th, 1910. C11 D1 051 1910. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Phillips, Martha M. « Notes for Address Before Vancouver Island Art Club in Victoria, » 15 November 1910, 5. C11 D1 051 1910. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Phillips, Martha M., « Memoranda & Diary : Western Trip, » 1910. C11 D1 050 1910. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • Phillips, Martha M., « Report of Western Trip, » 1911. C11 D1 051 1911. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
  • « Ukrainian Art Shown : Display Here Intended to Encourage Native Crafts. » Journal inconnu, lundi 11 avril (1938).
  • « Unique Exhibition of Canadian Handicrafts. » Montreal Star, samedi 22 février (1913).

IMAGES

(1) Photo des cartes de « Memoranda & Diary : Western Trip », 1910. Carnet de voyage de Mlle Phillips.
(2) Pamphlet « Self-Help, Not Charity », 1905. C11 D1 030 1905.
(3) Carte postale « Doukhobor Women Sewing for Our Handicraf Shop », 1905. C11 D1 028 1905.
(4) Photo de « Broderies Doukhobor, » 1905-1908. Négatifs sur verre.
(5) Motifs de point de croisé ukrainien de la collection de l'Association des femmes ukrainiennes du Canada.
(6-7) Photos d’oeuvres de la collection permanente : Broderie hongroise rouge et noire avec frange sur trois côtés (E7, E9) ; Broderie de capuchon (E10) ; Chemin de table (E24), début du 20e siècle.
(8) Photo d'une œuvre éducative de la collection permanente : Broderie avec 11 carrés de jute pré-imprimés (E5), début du 20e siècle.
(9) Lettre de Deane H. Russell (secrétaire du comité inter-départemental sur l’artisanat canadian) à Helen I. Drummond (secrétaire de The Canadian Handicrafts Guild), 28 février 1942. C14 D1 062 1942.
(10) Carte d’invitation au « Easter Bazaar », 1937, et autres documents du and « Polish Committee, 1937 » et du comité d’éducation, 1929.
(11) Photo d'une classe syrienne, Syrian Methodist School, 8 février 1926. Comité éducatif, photographies des classes ethniques 1926.
(12) Photo de l'exposition annuelle des travaux des enfants (anglais, italien, russe, grec), 1926, C11 D3 209 1933.
(13) Photo de la classe grecque et arménienne, University Settlement, 6 février 1926. Comité d'éducation, photographies des classes ethniques 1926.
© La Guilde, Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.


1 commentaire


  • louis hains, concepteur textile

    Je trouve les textes très instructifs et élégants, mais la définition des caractères dans le gris auraient avantage à se noircir pour avantager la lecture, Commentaire strictement technique, merci .


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