Montréal, 31 octobre 2021
Pour cet article de Saviez-vous que... voué à l’éducation, nous avons considéré les différents sujets qui s’offraient à nous. Après une consultation de nos archives, nous avons appris l’impact de La Guilde sur le développement de l’ergothérapie pour les vétérans lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Nous étions tellement étonnées et charmées par cette découverte que nous ne pouvions imaginer adresser un autre sujet. En effet, au cours des deux grandes guerres, La Guilde fait preuve de dynamisme et collabore avec divers organismes qui enseignent plusieurs métiers d’art aux vétérans revenants de la guerre, ainsi qu’à différents intervenants qui se sont impliqués dans les Forces armées canadiennes.
Dans le cadre du présent article, nous avons employé le terme d’ergothérapie, plutôt que celui d’art-thérapie, car il correspondait davantage au langage utilisé à cette époque. L’ergothérapie consiste en un traitement visant à aider une personne ayant un handicap (physique ou mental ; temporaire ou permanent) à se réhabiliter afin qu’elle puisse accomplir avec aisance ses activités quotidiennes. Ce traitement vise au bien-être et à l’autonomie des personnes (Le Petit Robert, 2013). Cependant, tel que nous le verrons, les pratiques qui y sont décrites sont intimement reliées à l’art-thérapie. En effet, au cours de son histoire, l’art-thérapie fut pratiquée bien avant sa théorisation. Saviez-vous que La Guilde a apporté une contribution non négligeable au domaine de l’art-thérapie au Canada ?
L’art-thérapie pour les vétérans
L’amorce d’une pratique
En 1910, quelques années avant le début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), l’une des fondatrices de La Guilde, Mme Alice J. Peck, contacte M. Hobbs — le superintendant du Homewood Sanitarium situé à Guelph, ON, aujourd’hui connu sous le nom de Homewood Health Centre — afin de connaître les ressources dont son hôpital dispose pour offrir des cours d’artisanat à ses patients. M. Hobbs lui explique qu’il ne possède pas de local à cet effet pour le moment, mais il semble intéressé par l’idée (Lettre M. Hobbs 1910). Dans une autre lettre de 1911, il met de l’avant qu’un bâtiment pour les arts et l’artisanat est en construction et sera terminé en avril 1912. Il précise que suite à cela, il pourra recevoir le conférencier que lui propose Mme Peck afin qu’il donne une démonstration d’artisanat (Lettre M. Hobbs 1911). En consultant ces échanges, nous comprenons que les femmes de The Canadian Handicrafts Guild se préoccupaient déjà, avant la guerre, de donner accès à l’artisanat aux patients des hôpitaux canadiens.
En 1916, Mme Peck crée un document décrivant les différents métiers d’art qui peuvent être pratiqué par les soldats revenant de la guerre : le tissage, la tapisserie, la fabrication de tapis, la création de teintures végétales — un art que Mme Peck maîtrisait bien — la vannerie, la reliure, la sculpture du bois, le travail du métal, la poterie et la réalisation de jouets. Elle mentionne également dans ce document la demande croissante qu’expriment les anciens combattants pour les travaux manuels et les effets bénéfiques qu’ils ont sur leur santé mentale et physique (Peck, 1916). Mme Peck était à l’affût des besoins de son époque et savait entreprendre des démarches afin d’y répondre.
La maturité d’une pratique pleine de promesses
Les actions dans le domaine de l’ergothérapie, déjà entamées à l’époque de la Première Guerre mondiale, se poursuivent et prennent de l’ampleur au début de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). En 1939, Dr W. J. Patterson — président du Occupational Therapy Centre [Centre d’ergothérapie], situé à Montréal — accepte avec joie la proposition venant du président de The Canadian Handicrafts Guild, M. Durnford, de collaborer afin d’offrir aux vétérans la possibilité de pratiquer l’artisanat et de recevoir une formation (Lettre Dr. Patterson 1939). Nous pouvons lire que le comité de La Guilde « est particulièrement désireux de contribuer à l'effort de guerre et il semble que notre travail [celui de La Guilde et du Centre] s'inscrive dans une démarche similaire » (Lettre M. Durnford 1939). L’union de ces deux organismes dans un effort commun est également mentionnée dans un article du journal Family Herald and Weekly Star traitant du Occupational Therapy Centre. L’on y précise que le seul endroit au Canada où il existe une formation pour l’enseignement de l’ergothérapie se trouve à la University of Toronto et que cette dernière possède une longue liste d’attente. Le besoin d’un nouveau centre de formation pour les ergothérapeutes était donc bien réel ! L’article confirme que l’Occupational Therapy Centre a entamé un « projet [...] en collaboration avec la Canadian Handicrafts Association [La Guilde], en vue de la création d'un centre de formation pour l'ergothérapie des hommes de retour de la guerre » (Family Herald and Weekly Star, 1940). The Canadian Handicrafts Guild s’est donc impliquée de près pour que les anciens combattants aient accès à l’artisanat, tout en se préoccupant de la formation d’enseignants ou de thérapeutes pouvant transmettre leurs connaissances.
Un témoignage poignant : un vétéran et la sculpture du bois
Nous avons retrouvé une lettre datant de 1942 qui offre un témoignage du rétablissement d’un ancien combattant, qui a entrepris le travail du bois :
Lorsque je l’ai vu, j’ai trouvé que sa santé s’était merveilleusement améliorée et qu’il était plein d'entrain. [...] le docteur était très satisfait de sa progression et heureux de constater qu'il avait entrepris ce travail. Il est entré dans la pièce avec un pas plus léger. Je sens qu'il est en bonne voie pour retrouver l’espoir, ainsi que sa capacité à s'occuper en accomplissant un travail utile (Lettre Mme Coleman 1942).
Mme Coleman décrit aussi tous les effets bénéfiques sur la santé et le moral du vétéran reliés à sa nouvelle occupation : la sculpture du bois. Lorsque le médecin souhaite changer le plâtre à son bras droit, son patient lui demande de lui mettre un plâtre plus léger afin qu’il puisse manipuler une scie. Lors de la création d’un avion en bois, il demande à sa femme de se renseigner concernant les magasins qui pourraient lui permettre de se procurer de petits ressorts pour l’avion. Sa nouvelle passion l’incite à rencontrer un artiste sculptant le bois dans son atelier et ce dernier l’encourage dans sa pratique en reconnaissant son talent naturel. De plus, lorsque le vétéran rencontre Mme Coleman, il lui demande si elle connaîtrait des endroits où il pourrait se procurer du bois pour créer trois autres avions.
Cette anecdote démontre clairement que l’enthousiasme de l’ancien combattant pour la sculpture du bois l’incite à retrouver ses forces physiques (l’usage de son bras blessé), son moral et son estime de soi. Mme Coleman confie également dans sa lettre que le vétéran et sa femme souffraient de dépression avant qu’il ait entrepris ce travail manuel. Elle constate ainsi tout l’impact que la pratique de la sculpture eut sur le couple, qui a pleinement retrouvé son entrain et sa joie de vivre. L’on dit qu’aucune force n’est plus redoutable que celle de l'enthousiasme !
Cette année-là, Mme Coleman rédige une autre lettre à Mme Drummond pour lui faire un compte-rendu de sa visite au Macdonald College — l’un des campus de l’université McGill, aujourd’hui voué aux sciences de l’agriculture et de l’environnement (Lettre Mme Coleman 1942). Elle considère que ce collège possède un énorme potentiel pour l’ergothérapie des vétérans et que cette vocation pourrait y être intégrée aisément. Auparavant, elle avait également visité l'Hôpital Sainte-Anne, situé à Sainte-Anne-de-Bellevue, dans le même but. Ainsi, les femmes de La Guilde poursuivent leurs démarches pour développer des programmes d’enseignement de l’artisanat pour les anciens combattants. Ces efforts porteront leurs fruits dans les années à venir.
Une exposition de photographie sur l’ergothérapie
En 1943, The Museum of Modern Art (MoMA) à New York a tenu l’exposition The Arts in Therapy, thème sur lequel les femmes de La Guilde prévoyaient également vouer une exposition. En 1944, La Guilde présente une exposition de photographies représentant des ergothérapeutes enseignant l’artisanat aux vétérans dans des hôpitaux militaires et civils canadiens [fig.4]. Comme mentionné dans le communiqué de presse de l’exposition, cet événement fut réalisé en collaboration avec le Département de photographie du Canadian Pacific Railway et l’Association canadienne des ergothérapeutes. Plusieurs photographies ont été prises par George A. Hunter (1921-2013) [fig.1-3, 5-7]. Dans le communiqué, l’on souligne que cette « [...] exposition arrive à un bon moment, car le besoin croissant de thérapeutes qualifiés est ressenti par l'Armée canadienne qui a récemment lancé un appel pour 70 thérapeutes afin de servir dans les hôpitaux militaires » (Press release, 1944). Sans suivre une formation universitaire complète, les intervenants pouvaient compléter un cours de plusieurs mois et assister le personnel soignant en transmettant leurs connaissances de l'artisanat. Ils devenaient une aide non négligeable aux infirmiers et aux thérapeutes. Ces photos contribuent donc à sensibiliser les visiteurs face à cet enjeu pour qu’ils puissent également participer à cet effort collectif.
Une exposition d’objets artisanaux réalisés par les vétérans
Une deuxième exposition sera organisée dans un but similaire en 1944 et présentera des objets artisanaux réalisés par les hommes et les femmes des Forces armées canadiennes. Les visiteurs du 2025 rue Peel pouvaient encourager les vétérans en achetant un cadeau de Noël pour un proche. Un court texte accompagnait chacun des objets de sorte que le public en apprenne davantage sur l’artisan et sur son histoire. Certains artisans se trouvaient dans des centres hospitaliers et des maisons de convalescence au moment de la création de leur objet. Parmi eux se comptaient des étudiants du département d’artisanat (Handicrafts Division) du Macdonald College — le même collège qu’avait visité Mme Coleman deux ans plus tôt — qui pratiquaient, entre autres, le tissage, le travail du métal, du cuir, du bois et de la nacre (les coquillages) [fig. 8-11]. Des démarches significatives ont été entreprises dans ce collège et The Canadian Handicrafts Guild a poursuivi sa collaboration avec le personnel de cette institution d’enseignement. Plusieurs des étudiantes provenaient du Service féminin de l’Armée canadienne et de la Division féminine de l’Aviation royale canadienne. Ces femmes suivaient des cours d’artisanat au collège, puis elles retournaient dans leurs unités afin de partager leurs connaissances. Elles devenaient aussi des ambassadrices de l’artisanat pour la Croix-Rouge canadienne.
Outre ces étudiants, certains artisans étaient des soldats qui souhaitaient se détendre et se divertir en pratiquant l’artisanat, mais également des vétérans qui participaient à un traitement pour améliorer leur santé. De nombreux organismes avaient collaboré à cette exposition, dont, entre autres, l'Hôpital Sainte-Anne, le Occupational Therapy Centre (Welfare Federation), la Jewish Junior Welfare League et le Verdun Protestant Hospital — connu aujourd’hui sous le nom de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Un article du Montreal Star détaille les différents organismes ayant contribué à la réalisation de cette exposition et explique que les « [...] patients alités font du tissage sur de petits métiers à tisser, alors que ceux ayant la possibilité de marcher peuvent utiliser les équipements stationnaires de la salle de travail, ainsi que des jeux leur permettant de faire travailler les muscles affectés » (Montreal Star, 1944). Ainsi, différents types d’artisanat étaient proposés aux vétérans et étaient adaptés à leurs besoins. En plus de les aider à retrouver l’usage d’un bras ou d’une jambe, ils pouvaient aussi favoriser la concentration et leur permettre d’être dans l’instant présent, ce qui contribuait à apaiser l’agitation mentale. Certains anciens combattants ont même décidé de devenir des artisans professionnels.
Suite à la Seconde Guerre mondiale, des organismes ont contacté The Canadian Handicrafts Guild afin d’obtenir des recommandations en ce qui concernait les endroits où suivre des formations pour apprendre l’artisanat ou pour vendre des créations artisanales. La Guilde consistait en l'un de ces lieux, tout en étant une référence que les vétérans pouvaient consulter afin d’obtenir des conseils dans ce domaine.
L’art-thérapie aujourd’hui
Encore aujourd’hui, La Guilde reconnaît l’effet bénéfique des métiers d’art et des arts visuels sur notre santé. En effet, tout au long de la pandémie, qui a débuté en mars 2020, les visiteurs de La Guilde ont été nombreux à exprimer le bien-être moral que leur procurait la visite d’une exposition ou la vue d’une œuvre qui les touchait particulièrement.
L’art-thérapie fait l’objet de nombreuses études de nos jours et constitue un domaine en pleine expansion. Sur le site web de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), nous retrouvons la définition suivante de l’art-thérapie : « une démarche d'accompagnement psychologique d'une personne ou d'un groupe en difficulté, centrée sur l'expression de soi, de ses pensées, de ses émotions et ses conflits dans un processus de création d'images » (C’est quoi l’art thérapie, UQAT). Ainsi, l’art-thérapie vise à contribuer à la santé physique, mentale et émotionnelle d’une personne, tout en développant son estime de soi. Ce site met également de l’avant qu’au Québec, l’art-thérapie est principalement reliée au domaine des arts visuels, mais qu’en Europe, il s’apparente également au théâtre, à la danse, à la musique, etc. Le témoignage du vétéran qui avait développé une passion pour la sculpture du bois correspond parfaitement à cette définition. L’art-thérapie peut aussi nourrir l’approche d’un artiste et motiver des projets de création impressionnants, comme les installations de Sonia Robertson, qui a récemment présenté une exposition à La Guilde. Les ressources de l’art-thérapie, qui se rapprochent énormément de celles de l’ergothérapie, ne devraient pas être sous-estimées. La Guilde est heureuse de constater qu’au cours de son histoire, elle a bel et bien contribué à ce domaine fascinant.
Marie-Hélène Naud
Coordonnatrice aux activités culturelles / Assistante à la galerie et aux expositions
Avec la collaboration de Audrée Brin, Genevieve Duval et Amel Goussem Mesrati
RÉFÉRENCES
- « C’est quoi l’art-thérapie? ». UQAT: Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Consulté le 14 octobre 2021. https://www.uqat.ca/etudes/developpement-humain-et- social/cest-quoi-art-therapie.
- « Ergothérapie ». Le Petit Robert. Paris : Le Petit Robert, 2013.
- Lettre du Dr. W. J. Patterson, Occupational Therapy Centre, 1939. Occupational Therapy 1939-1940. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Lettre de M. A.T. Galt Durnford, The Canadian Handicrafts Guild, 14 octobre 1939. Occupational Therapy 1939-1940. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Lettre de M. A.T. Hobbs, The Canadian Handicrafts Guild, 12 juillet 1910. Occupational Therapy 1910-1916. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Lettre de M. A.T. Hobbs, The Canadian Handicrafts Guild, 10 mai 1911. Occupational Therapy 1910-1916. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Lettre de Mme Coleman, 13 juillet 1942. Éducation 1942. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Lettre de Mme Coleman, 1 juillet 1942. Éducation 1942. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- « Montreal to Figure In Therapy Parley. » Family Herald and Weekly Star, mercredi 4 décembre (1940).
- Peck, Alice. « Party Occupational Therapy: Handicrafts (or Cottage Industries) for Soldiers », 1916. Occupational Therapy 1910-1916. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- « Press Release: Exhibition of Occupational Therapy Photographs », 6 janvier 1944. Occupational Therapy 1944. Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
- Ms. Botting, « Servicemen’s Skill Shown In Exhibition. Occupational Therapy Work Great Success. » The Montreal Star, mercredi 13 décembre (1944).
Images
(1) George A. Hunter, Vétéran Robert Starr utilisant un tournevis, Deer Lodge Military Hospital, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(2) George A. Hunter, Vétéran travaillant le bois, Sanatorium Ste-Agathe, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(3) George A. Hunter, Vétéran Douglas Chapman travaillant le bois à l’aide d'une scie à bicyclette, Deer Lodge Military Hospital, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(4) Carton d’invitation de l’exposition Photographs Showing Occupational Therapists, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(5) Vétéran alité tissant accompagné d’une infirmière, Sanatorium Ste-Agathe, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(6) George A. Hunter, Vétéran Jerry Vickers alité et tissant, Deer Lodge Military Hospital, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(7) George A. Hunter, AC. R.H. Downie, R.A.F., et Bdr. B.F. Charette, Greenway, Man., présentant les objets réalisés par le département d’artisanat à l’assistante-infirmière Dorothy Prentice, Deer Lodge Military Hospital, 1944. Occupational Therapy, 1944.
(8) Canadian Pacific Railway, Objets tissés, Macdonald College, 1943. Macdonald College Handicrafts Division, 1943.
(9) Canadian Pacific Railway, Objets en bois réalisés par le personnel du Service féminin de l’Armée canadienne, Macdonald College, Handicrafts Division, 1943. Macdonald College Handicrafts Division, 1943.
(10) Canadian Pacific Railway, Objets en cuir, Macdonald College, Handicrafts Division, 1943. Macdonald College Handicrafts Division, 1943.
(11) Canadian Pacific Railway, Objets en métal, Macdonald College, Handicrafts Division, 1943. Macdonald College Handicrafts Division, 1943.
© Les archives de La Guilde, Montréal, Canada.
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