23 avril au 19 juillet 2020
Biennale d’art contemporain autochtone (BACA), 5e édition
Kahwatsiretátie : Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie
Artistes exposant à La Guilde :
Cruz Anderson & Judy Anderson
Cheryl Wilson-Smith & Cheryl Wilson-Smith
Marcy Friesen
Sage Paul
Sherry & Riva Farrell Racette
Skawennati & Ulivia Uviluk
*En raison de la situation sanitaire, l'exposition a ouvert lorsque la galerie était fermée au public.
Texte du commissaire David Garneau
(Traduction de Jean Héon)
Avant les invasions française et britannique, la population du nord de l’Île de la Tortue était composée de nations distinctes parlant plus de 90 langues. Ces nations faisaient du commerce entre elles, se livraient la guerre, concluaient des traités, contractaient des mariages, ou vivaient si loin les unes des autres qu’elles ne se rencontraient jamais. La rhétorique impérialiste les a toutefois rassemblés en un seul peuple, les Indiens. Ce terme raciste a contraint par la loi des peuples différents à devenir un seul ensemble dénaturé. Ce n’était que l’un des outils utilisés pour séparer les colons des Autochtones, et les Autochtones, de la terre. Au début du XX e siècle, certains ont tenté de réhabiliter le mot Indien comme symbole d’un front de résistance collective. La Fraternité des Indiens du Canada, par exemple, a regroupé les chefs d’un océan à l’autre et de la limite forestière au nord à la Ligne magique au sud. Cependant, dans les années 1980, ils se sont eux-mêmes redéfinis en tant que l’Assemblée des Premières Nations. Trop chargée d’associations négatives, l’étiquette Indien, erronée et imposée, s’est évanouie, et le terme Aborigènes a pour un temps été le nom collectif désignant les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Ce nouveau nom indiquait un changement dans la compréhension de soi et de l’existence collective.
S’identifier consciemment comme Aborigène ou Autochtone signifie qu’en plus d’être, par exemple, Kanien’kehá:ka, Inuvialuit, ou Métis, on est solidaire de tous les peuples non colonialistes du territoire maintenant connu comme le Canada. L’autochtonisme constitue une identité politique lorsqu’il est choisi plutôt qu’imposé par décret. L’endosser représente la reconnaissance du fait que nous ne sommes pas seulement façonnés par nos propres communautés, mais aussi par une nation coloniale et par notre résistance collective à celle-ci. Rejeter le nom Indien signifie que l’on se voit soi-même comme étant quelque chose de plus qu’un Indien au sens de la Loi sur les Indiens.
Depuis quelque temps, le terme Autochtone – au sens de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones – est le nom collectif privilégié. Les Indiens étaient des pupilles de l’État. Les Aborigènes luttent pour obtenir ou maintenir leur autonomie, pour leur souveraineté au sein d’une nation coloniale, mais tout en restant à part. Les peuples autochtones vont plus loin et s’identifient aux Premiers Peuples du monde entier. L’identité autochtone est internationale et unit des peuples originaires de territoires différents, mais partageant néanmoins la même vision du monde et de l’expérience coloniale. Le nom Autochtone est associé à la lutte menée à travers le monde pour restaurer le droit naturel, ce qui comprend la fin du colonialisme, du patriarcat, du capitalisme prédateur, du racisme, et de la dégradation de l’environnement. Les peuples autochtones réinstaurent les pratiques non coloniales et les adaptent à l’époque actuelle et à leur territoire propre.
Bien que les Premières Nations, les Iwis et autres tribus autochtones soient des communautés liées par le sang, la langue, la tradition, les cérémonies, et le territoire, il y a toujours eu une grande fluidité dans ces relations. Elles ont été enrichies par des mariages intertribaux, par des adoptions et par des migrations. L’avènement de communications et de transports rapides a favorisé l’élargissement du réseau des relations autochtones. À l’ère autochtone, les liens de parenté ne comprennent pas que les liens du sang, les liens territoriaux et les relations non humaines, mais aussi les liens extrafamiliaux, extra territoriaux, et même les liens virtuels. Pour ceux et celles dont les collectivités sont dévastées par l’assimilation agressive – par les pensionnats indiens qui cherchaient à exterminer les langues et la culture autochtones en séparant les enfants de leur famille et en leur imposant une rééducation leur inculquant des connaissances et des façons d’être non autochtones; par une christianisation diabolisant la spiritualité traditionnelle, la fluidité de genre, et les sociétés non patriarcales; et en imposant un capitalisme prédateur qui ruine les écosystèmes, déplace et divise les communautés et crée des disparités de richesse; pour ces familles qui continuent à subir les répercussions du génocide, qui souffrent de pauvreté, d’insécurité liée à l’alimentation et à l’eau, de toxicomanie, de violence, qui sont traumatisées par les suicides, par l’enlèvement de leurs enfants par les organismes gouvernementaux afin d’être placés en adoption, et par des taux d’incarcération disproportionnés; pour ces gens, les liens familiaux et les relations communautaires peuvent être insoutenables. Certains ont besoin de créer des liens avec d’autres, de se rapprocher de communautés et de gens qui partagent leurs idées et leurs pratiques, de trouver du soutien et d’en donner en retour.
La 4 e édition de la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA), níchiwamiskwém | nimidet | ma sœur | my sister, organisée et dirigée par les commissaires Niki Little et Becca Taylor, a exploré les relations qui vont au-delà des liens du sang. La 5 e édition de la BACA continue à suivre ce fil. L’exposition Kahwatsiretátie, que j’ai dirigée et organisée avec le soutien de rudi aker (Wolastoqiyik) et de Faye Mullen (Anishinaabe), présente le travail de plus de cinquante artistes dans six lieux de Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal dont les œuvres mettent en scène, notamment, les relations intergénérationnelles, le rapprochement avec les ancêtres passés et futurs, les liens avec d’autres entités que les êtres humains, les personnes à la recherche d’un « foyer » dans des territoires que les pas de leurs ancêtres n’ont pas foulés, les amitiés, les liens entre mentor et mentoré, et autres interactions.
Reconnaissant que ces expositions ont lieu sur le territoire traditionnel et non cédé Kanien’kehá:ka, et que Faye, rudi et moi, ainsi que plusieurs artistes, ne sommes pas d’ici, nous avons demandé conseil auprès des représentants traditionnels de ce territoire. Nous nous sommes joints au conseil d’administration de la BACA pour rencontrer les Aînés et des artistes dans la Maison longue de Kahnawà:ke pour établir la base de leur relation. Lors d’une réunion ultérieure avec Faye, l’Aîné Otsitsaken:ra (Charles Patton) et la Gardienne de la foi Niioieren (Eileen Patton) nous ont livré le titre Kahwatsiretátie: Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie. Les mots représentent un cercle continu, où main dans la main et de nation à nation, les membres du cercle soulèvent une charge. Ces mots Kanien’kéha véhiculent les valeurs d’une solidarité persévérante soutenant cette charge sans faillir. La Biennale de 2020 cherche à donner forme à ces mots, afin de refléter l’interdépendance de tout ce qui existe, tout en reconnaissant que le maintien de bonnes relations constitue une question de poids, une question de volonté, d’amour, de parenté et d’amitié.
La réciprocité représente un aspect important du maintien de bonnes relations. Nous sommes venus solliciter la bénédiction de la communauté, et demander d’inaugurer Kahwatsiretátie. La Biennale a offert d’assurer le transport des membres de la communauté qui souhaitent visiter les expositions, et nous avons retenu les services d’artisans de la communauté de Kahnawà:ke pour confectionner des ouvrages de perles à offrir en cadeau à tous les artistes. À la Maison longue, nous avons établi des liens avec des artistes de la communauté et les avons invités à participer à la Biennale. Une réciprocité soutenue entre les communautés des villes et celles des réserves sera maintenue pendant les mois que durera la Biennale. Elle se traduira par des rassemblements, des ateliers, des activités de grattage de peaux et des projets de potagers que Faye travaille à organiser avec les communautés de Kahnawà:ke et de Kahnestà:ke. La notion d’affinités englobe le fait que des Autochtones de différentes nations comblent les besoins de membres d’autres nations, là où ils se trouvent. C’est un cœur ouvert, c’est une main tendue et une promesse d’engagement futur.
La notion d’affinités ne représente pas que le sujet de Kahwatsiretátie, elle éclaire également notre méthode de conservation. En plus de choisir des œuvres d’art remarquables et de les présenter en fonction de leur relation les unes avec les autres, nous avons également demandé à de nombreux artistes d’inviter à exposer avec eux des gens avec qui ils ont des affinités. Ces gens peuvent être des membres de la famille, de la communauté ou des mentorés, ou encore d’autres personnes proches. Cette redistribution de la gouvernance du commissariat constitue une pratique non coloniale. Comme dans une cérémonie ou une fête où les invités invitent à leur tour leurs propres invités, nous voulons élargir le cercle et accueillir des personnes que nous ne connaissions pas encore. Ainsi, Kahwatsiretátie comprend quelques artistes qui n’ont jamais présenté leur travail au Québec, ou à l’extérieur de leur communauté, ou même en tant qu’œuvre d’art.
Kahwatsiretátie englobe une gamme complète de médias artistiques : dessin, peinture, céramique, sculpture, photographie, installations audio, vidéos, médias numériques, arts de la scène, etc., mais il y a une emphase sur le perlage et les textiles. Un aspect important de la renaissance des peuples autochtones réside dans la résurgence de formes d’art traditionnelles redéfinies pour embrasser l’engagement à l’égard de l’expérience contemporaine. Le perlage est accessible. Il n’est pas nécessaire d’être titulaire d’une maîtrise en beaux-arts pour acquérir les compétences requises et réaliser quelque chose de spécial, quoique le fait d’avoir un mentor constitue un avantage. Le perlage est d’ailleurs accessible du fait qu’il s’inscrit dans presque toutes les cultures. Tout le monde apprécie les belles choses faites à la main. La plupart de nos perles proviennent au-delà de l’Île de la Tortue, tout comme certains de nos motifs. Le perlage est un métissage, un mélange de matériaux et d’influences. La confection à la main, par l’utilisation de techniques traditionnelles tirées de l’observation et de la pratique, crée un lien haptique avec les générations précédentes.
Bien que Kahwatsiretátie présente certainement beaucoup de pièces d’art dans ses salles, un accent est mis sur les relations, d’au-delà des objets. Nous nous intéressons également au public présent dans ces salles – et à l’extérieur de celles-ci –, en fait, à tout ce qui touche la musique, les arts de la scène et les ateliers, les discussions et les réunions de spécialistes, et autres rencontres dans le cadre de l’exposition. Kahwatsiretátie: Teionkwariwaienna Tekariwaiennawahkòntie renvoie à une phrase familière dans les milieux autochtones. Le terme « toutes nos relations » est évoqué lors de rassemblement pour reconnaître les personnes présentes et absentes, et inclut la relation avec les espèces non humaines. Il reconnaît le privilège de la présence. Faye, rudi, et moi-même avons été invités à organiser ces espaces et ces relations en tant que commissaires de la Biennale. Dans deux ans, ce seront d’autres personnes, d’autres œuvres, et d’autres idées. Bien que nous prenions notre rôle au sérieux, et que nous nous efforçons de donner le meilleur de nous-mêmes ici, nous le faisons avec humilité. Nous sommes en visite, nous ne cherchons pas à coloniser.
Les sites d’exposition autochtones souverains peuvent être permanents ou provisoires, où la présentation de la production créative autochtone est gérée par des Autochtones. Dans le cas de la BACA, nous occupons temporairement des espaces qui ne sont pas les nôtres afin d’offrir un aperçu de ce qui nous est propre. L’art, dans le sens de créations et de représentations distinctes de la vie quotidienne produites par les humains, et présentées dans des salles d’exposition, est une pratique coloniale. Un des défis que représente le fait de travailler dans ces espaces chargés de cet héritage est de trouver des moyens de les autochtoniser. L’autochtonisation telle qu’elle est actuellement pratiquée dans l’ère de vérité et de réconciliation, signifie généralement d’apporter les enseignements autochtones dans des lieux non autochtones comme les universités et les musées selon les règles de l’institution. Ironiquement, cette appropriation se situe à l’opposé du sens original de l’autochtonisation, soit l’idée voulant que des Autochtones prennent et adaptent certains aspects de la culture coloniale qui correspondent le mieux à leurs besoins. Nous travaillons avec ces espaces et avec leurs gardiens en faisant de notre mieux pour élaborer de nouveaux modes de conservation fondés sur les façons autochtones d’acquérir des connaissances et les façons d’être. Chaque exposition représente un pas vers une souveraineté créatrice.
i. Ces trois dernières phrases sont issues de la compréhension de Faye Mullen des enseignements que lui a légués l’Aîné Otsitsaken ra:(Charles Patton), et la Gardienne de la foi Niioieren (Eileen Patton).
À PROPOS DE BACA
La Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) est un événement primordial pour reconnaitre et soutenir l’art et les artistes autochtones contemporains. Initiée en 2012 par la galerie Art Mûr, la BACA poursuit sa mission comme organisation à but non lucratif, afin de mieux répondre à l’ampleur de l’événement. À chacune de ses éditions, Montréal/Tiohtià:ke redevient pendant deux mois le lieu de convergence des artistes autochtones en Amérique du Nord.